
Visée : Émancipation
Nous devons au mouvement d’émancipation des femmes la démonstration qu’on peut se libérer en cheminant pour sa libération, avant même d’avoir obtenu ce que l’on vise. L’émancipation n’est pas le cadeau final une fois la Révolution faite ; elle est une construction de soi permanente.
Dès la fin du XIXème siècle les mouvements féministes font l’expérience qu’il ne faut rien attendre « d’en haut » et qu’on ne peut être libéré que par soi-même. Très tôt elles estiment que leur émancipation ne viendra pas de la République et des institutions et s’organisent au sein d’associations de travailleurs et d’associations de femmes. Bien que le principe de l’égalité des droits ait été posé dès la Révolution française(Olympe de Gouges), il faudra attendre 1944 pour obtenir le droit de vote, réclamé depuis 1848, et 1962 pour avoir droit d’ouvrir un compte en banque indépendant !
Si les mouvements d’émancipation des femmes ont très tôt une dimension universaliste de défense des droits humains, elles pensent que leurs problèmes spécifiques ne pourront pas être résolus seulement par un renversement des rapports de production capitalistes, mais également par la remise en cause de toutes les dominations, en premier lieu du pouvoir patriarcal. Leur apport au combat de classe aura été de ne pas en rester aux seules dimensions économiques mais d’intégrer les rapports sociaux dans la lutte des classes.
L’originalité de la démarche féministe vient notamment de l’articulation de l’intime et du politique. Les dominations existent et se perpétuent dans les sphères intime et privée, mais relèvent de la responsabilité collective. Changer l’intime des femmes nécessite d’agir politiquement. En témoignent les campagnes pour la reconnaissance du droit à disposer librement de son corps, le refus des violences et du travail domestique non rémunéré.
Les stratégies de luttes s’en trouvent modifiées : Les luttes menées en partant du plus intime de la vie des femmes seront ensuite problématisées en faisant émerger la dimension sociale dans l’espace commun. De nombreux projets politiques féministes se sont donc construits dans un travail collectif autour de revendications rassemblant des groupes et des personnes qui ne partageaient pas nécessairement les mêmes conditions de vie ou les mêmes idées.
Enfin, on doit au mouvement féministe une redéfinition de la relation entre visée et action immédiate. Shirin Ebadi, icône du Mouvement des femmes iraniennes : « Notre devoir est de nourrir des rêves, mais de travailler chaque jour à en faire une réalité. ». Dans cette démarche, le “faire tout de suite” ne se limite pas à l’action en elle-même. L’imaginaire d’une autre vie possible que contient cet acte décuple sa force d’entraînement. C’est ce qu’ont fait les femmes et les médecins qui pratiquaient l’IVG avant même qu’il ne soit légalisé. Cet imaginaire contribue à construire l’action et l’action crée à son tour de la symbolique dont elle se nourrit.
Josiane Zarka